Par Jean-Paul CARMINATI, président des Livreurs
Notre expérience de praticiens de la lecture devant des publics variés et le plus souvent adultes nous a confirmé, comme le mentionne Klaus Mann dans Le Tournant, que « les voix des poètes se confondent dans mon souvenir avec les voix de ceux qui me les firent tout d’abord connaître ». « Je ne pensais pas qu’il y avait cela dans un livre ; on voit les choses quand vous les dites ; ça donne envie de lire la suite ; où trouve-t-on ces livres ?; qu’est-ce que c’est beau, Proust !; pourquoi cet auteur n’est-il pas publié ? Comment ? ce texte a 800 ans - mais c’est d’actualité ! », telles sont quelques unes des remarques que nous recueillons à chaque fois que nous donnons à entendre des textes classiques ou contemporains, lectures qui provoquent la ruée sur l’étal de livres préparé par le libraire avec qui nous travaillons : retrouver, porté par le souvenir de la communication affective de la voix, frustré aussi par la fin de la lecture, retrouver la suite dans le livre : lire, enfin. Pour nous, la lecture à voix haute d’oeuvres littéraires est une activité intemporelle, indépendante du débat contemporain sur la numérisation des oeuvres, de la constitution de bibliothèques gigantesques sur des supports miniaturisés, ou du marketing littéraire. Oui, notre question à nous, c’est tout simplement : comment ce texte sonne-t-il à voix haute ? Peut-il passer l’épreuve du gueuloir comme le disait Flaubert ? Son contenu et sa forme sont-ils suffisamment solides pour le laminoir de la voix ? Et c’est ainsi que nous faisons nos choix, de Lucrèce à Pierre Michon, sans passer toujours par les auteurs les plus vendus. Nous avons dès nos débuts poursuivi la conquête d’un public qui, toujours plus nombreux au fil des années, nous en redemande. C’est bien la preuve qu’il a expériment au coeur d’un dispositif de spectacle vivant, la puissance incomparable de la voix et de l’affect comme instruments de transmission de l’identité, de la mémoire culturelle : soudain émergent une description de Paris en 1755, Gervaise battant le linge au lavoir, Rousseau plaidant sa cause devant l’Etre Eternel, le cendrier en marbre avec lequel l’assassin va frapper, ou le sens caché de la Chèvre de Monsieur Seguin. Et comme notre public nous accompagne toujours plus dense, depuis la fin du siècle dernier où nous avons commencé dans les cafés, nous allons vers des lieux pouvant l’accueillir en plus grand nombre. C’est ainsi que, après avoir écumé plusieurs salles parisiennes (la Cigale, le Trabendo, le Cabaret Sauvage, le Divan du Monde, etc.), nous avons, avec le soutien du Service culturel de la Sorbonne Paris IV, créé le festival Livres en tête et planté nos voix au Réfectoire de Cordeliers. Puissent les projets se surpasser encore, tant dans la hardiesse des choix de textes et la qualité de leur interprétation que dans la confiance que nos partenaires nous accordent au soutien de cette grande cause qu’est la défense de la littérature !