12 mars 2018, 14h01. Un invité un peu particulier s'apprête à nous rejoindre dans l'espace café de The Bureau, dans le 8e arrondissement. Il s'agit de Félix Libris, la star internationale de la lecture à voix haute, comme il aime se présenter. Véritable pionnier en la matière, ce « lecteur sonore » s'attache à faire découvrir (entre autres) les classiques de la littérature en se produisant aux quatre coins de la planète. Il nous évoque ses débuts, sa technique pour s'approprier un texte et en profite pour nous dévoiler les bases de la lecture à voix haute... Morceaux choisis.
« J'exerce un des plus vieux métiers au monde ! Lire à voix haute pour les autres, c'est quelque chose que j'aime faire depuis tout petit. Lorsque j'ai commencé, j'ai rencontré des gens qui se produisaient dans un bar, mais à l'époque c'était assez mal vu et considéré comme ringard. On assimilait toujours les lecteurs aux comédiens et pour cette confrérie-là, c'était une honte suprême de faire ça. Puis, l'époque a changé, notre métier s'est développé, on a eu de la presse, des partenaires qui nous ont soutenus. J'ai désormais une équipe et une structure avec la maison de production Les Livreurs, qui compte des lecteurs, des musiciens, des écrivains... Tout le monde peut nous commander une lecture ou une conférence, des princesses du Maroc ou de Monaco en passant par des ouvriers, des entreprises, des théâtres ou des particuliers.
Devenir lecteur sonore n'est pas si facile que ça. C'est un peu comme la photo : si n'importe qui est en mesure de faire une photo, dans mon cas tout le monde sait lire. Il y a donc une confusion de la part du public car lire à voix haute est accessible à tous, c'est l'interprétation qui n'est pas facile. C'est pour cela que le plus souvent, les gens qui rejoignent Les Livreurs sont des personnes que l'on a formées. Il est assez rare que l'on nous envoie une bande audio qui soit géniale... Ceci dit, c'est un métier qui peut s'apprendre. J'ai remarqué que le talent ne servait à rien au départ : les gens qui partent de rien progressent beaucoup mieux, vont se former... Le désir est un moteur essentiel. Pour lire à voix haute, la première chose à faire est d'essayer de lire comme on parle. Les personnes ont tendance à lire faux et à utiliser un « ton lecture » qui remonte à l'école. Pour le reste, c'est comme la musique : chaque auteur a son style et son rythme, mais la base est de savoir parler juste, de faire simple.
Par exemple, tous les enregistrements actuels de Proust s'apparentent davantage à une lecture où l'on entend une reproduction de l'ambiance feutrée que l'on imagine être celle de l'auteur, alors que ce qui compte n'est pas l'histoire mais le style. Proust possède une écriture que ne peut que soutenir une diction exaltée, parce qu'il n'y a que les gens exaltés qui font d'aussi longues phrases avec des apartés extrêmement précis et qui essaient de rassembler une idée en très peu de temps, comme ça. Je pense qu'il faut le lire de manière extrêmement vivante. Au contraire, un Romain Gary écrit très simplement et arrive à dire beaucoup de choses avec des phrases et des mots simples. Dans ce cas, il n'y a pas de rythmique particulière, il faut arriver à enlever toute fioriture et à pratiquer la « lecture parole ».
Ce métier m'amène à lire dans beaucoup de langues : russe, allemand, anglais, espagnol, italien ou même iranien, ce que j'ai fait récemment. Cela nécessite de l'entraînement et un coach qui donne l'accent. Le plus gros travail n'est pas la prononciation mais l'intention, ce qui fait que même si on ne lit pas toujours très bien, les gens nous comprennent. Pour ce qui est du choix d'un texte, ce n'est pas tant le lieu qui m'inspire mais plutôt le public. On se demande toujours qui est dans la salle, de quel genre de personnes il s'agit. Ce qui fait que lorsque je vais en prison, je ne vais pas lire un texte sur l'évasion ! Dans une maison de retraite, cela va être des classiques, des Maupassant, qui les rassurent et qu'ils connaissent. Je serais incapable de ne faire qu'une seule chose : le fait d'enseigner à La Sorbonne, de donner des Master Classes, d'être sur scène, de produire, tout cela m'intéresse. Je ne crois pas à l'idée baudelairienne de l'artiste seul, qui doit être isolé de tout pour créer. Je me rapproche davantage de la vision du 18ème siècle de l'artiste qui est ancré dans le réel, qui se rend compte qu'il y a des factures, une TVA... La vraie vie, en fin de compte ! »
Félix Libris se produit régulièrement dans le cadre des Solo Théâtre créés par Les Livreurs. Seul en scène, il fait entendre une pièce de théâtre en une heure, avec sa voix comme unique alliée. Pour plus d'informations, rendez-vous sur www.leslivreurs.com.
Alexandra JUPILLAT
« J'exerce un des plus vieux métiers au monde ! Lire à voix haute pour les autres, c'est quelque chose que j'aime faire depuis tout petit. Lorsque j'ai commencé, j'ai rencontré des gens qui se produisaient dans un bar, mais à l'époque c'était assez mal vu et considéré comme ringard. On assimilait toujours les lecteurs aux comédiens et pour cette confrérie-là, c'était une honte suprême de faire ça. Puis, l'époque a changé, notre métier s'est développé, on a eu de la presse, des partenaires qui nous ont soutenus. J'ai désormais une équipe et une structure avec la maison de production Les Livreurs, qui compte des lecteurs, des musiciens, des écrivains... Tout le monde peut nous commander une lecture ou une conférence, des princesses du Maroc ou de Monaco en passant par des ouvriers, des entreprises, des théâtres ou des particuliers.
Devenir lecteur sonore n'est pas si facile que ça. C'est un peu comme la photo : si n'importe qui est en mesure de faire une photo, dans mon cas tout le monde sait lire. Il y a donc une confusion de la part du public car lire à voix haute est accessible à tous, c'est l'interprétation qui n'est pas facile. C'est pour cela que le plus souvent, les gens qui rejoignent Les Livreurs sont des personnes que l'on a formées. Il est assez rare que l'on nous envoie une bande audio qui soit géniale... Ceci dit, c'est un métier qui peut s'apprendre. J'ai remarqué que le talent ne servait à rien au départ : les gens qui partent de rien progressent beaucoup mieux, vont se former... Le désir est un moteur essentiel. Pour lire à voix haute, la première chose à faire est d'essayer de lire comme on parle. Les personnes ont tendance à lire faux et à utiliser un « ton lecture » qui remonte à l'école. Pour le reste, c'est comme la musique : chaque auteur a son style et son rythme, mais la base est de savoir parler juste, de faire simple.
Par exemple, tous les enregistrements actuels de Proust s'apparentent davantage à une lecture où l'on entend une reproduction de l'ambiance feutrée que l'on imagine être celle de l'auteur, alors que ce qui compte n'est pas l'histoire mais le style. Proust possède une écriture que ne peut que soutenir une diction exaltée, parce qu'il n'y a que les gens exaltés qui font d'aussi longues phrases avec des apartés extrêmement précis et qui essaient de rassembler une idée en très peu de temps, comme ça. Je pense qu'il faut le lire de manière extrêmement vivante. Au contraire, un Romain Gary écrit très simplement et arrive à dire beaucoup de choses avec des phrases et des mots simples. Dans ce cas, il n'y a pas de rythmique particulière, il faut arriver à enlever toute fioriture et à pratiquer la « lecture parole ».
Ce métier m'amène à lire dans beaucoup de langues : russe, allemand, anglais, espagnol, italien ou même iranien, ce que j'ai fait récemment. Cela nécessite de l'entraînement et un coach qui donne l'accent. Le plus gros travail n'est pas la prononciation mais l'intention, ce qui fait que même si on ne lit pas toujours très bien, les gens nous comprennent. Pour ce qui est du choix d'un texte, ce n'est pas tant le lieu qui m'inspire mais plutôt le public. On se demande toujours qui est dans la salle, de quel genre de personnes il s'agit. Ce qui fait que lorsque je vais en prison, je ne vais pas lire un texte sur l'évasion ! Dans une maison de retraite, cela va être des classiques, des Maupassant, qui les rassurent et qu'ils connaissent. Je serais incapable de ne faire qu'une seule chose : le fait d'enseigner à La Sorbonne, de donner des Master Classes, d'être sur scène, de produire, tout cela m'intéresse. Je ne crois pas à l'idée baudelairienne de l'artiste seul, qui doit être isolé de tout pour créer. Je me rapproche davantage de la vision du 18ème siècle de l'artiste qui est ancré dans le réel, qui se rend compte qu'il y a des factures, une TVA... La vraie vie, en fin de compte ! »
Félix Libris se produit régulièrement dans le cadre des Solo Théâtre créés par Les Livreurs. Seul en scène, il fait entendre une pièce de théâtre en une heure, avec sa voix comme unique alliée. Pour plus d'informations, rendez-vous sur www.leslivreurs.com.
Alexandra JUPILLAT