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LES LECTURES À VOIX HAUTE,
UN « ART VIVANT » DE NOUVEAU
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22/01/2021
Les lectures à voix haute proposées par Facebook live conquièrent un public toujours plus nombreux : merci le confinement ? Pas seulement, car ce type de spectacle, à ne pas confondre avec le théâtre, a le vent en poupe depuis plusieurs années.

Voilà quelques années que la lecture à voix haute s'est instaurée comme événement incontournable. Depuis 2017, la Bibliothèque Nationale de France (BNF) organise un festival dédié à la lecture à haute voix. Une façon de célébrer les textes littéraires, qu'ils soient récents ou anciens... voire très anciens, comme à l'Institut du Monde Arabe (IMA) où Les Mille et Une Nuits ont résonné cet hiver, façon feuilleton nocturne, à l'occasion des Nuits de la Poésie, toujours en live sur les réseaux sociaux. Et la télévision s'y met aussi. La Grande Librairie, émission littéraire phare de France 5, organisait l'année dernière un concours auquel cent quarante mille jeunes ont participé : « Et si on lisait... à voix haute ? »
Au début, on passait pour des gros nazes. Maintenant, la lecture à voix haute est redevenue quelque chose de noble
Jean-Paul CARMINATI & Bernhard ENGEL
Attention : ne confondez pas lecture à voix haute et théâtre ! La première est une pratique bien spécifique, qui ne nécessite pas de mémorisation et où l'acte de lecture est bien visible. Depuis vingt-cinq ans, Jean-Paul Carminati et Bernhard Engel pratique la lecture à voix haute. Le second l'enseigne même à la Sorbonne. Ensemble, ils ont fondé Les Livreurs, Lecteurs Sonores, un collectif qui propose des manifestations littéraires pour faire découvrir la littérature par la voix. « Au début, on passait pour des gros nazes, se souviennent-ils. Maintenant, la lecture à voix haute est redevenue quelque chose de noble, pratiquée par les comédiens. »

Scripta manent, verba volent

Pour comprendre le retour en force de cette pratique, il faut se plonger dans son histoire, racontée dans l'introduction de l'ouvrage des deux compères : Le Son de Lecture, publiés aux Éditions du Faubourg. À l'origine même de l'écriture, à l'époque des Sumériens, tout comme dans l'Antiquité, la lecture était destinée à la voix : « Comme l'indique le dicton latin Scripta manent, verba volent, la parole a des ailes (vole), le mot écrit, silencieux sur la page est inerte sans elle. Le mot écrit avait besoin de la parole pour le délivrer, en transmettre le sens », écrivent Jean-Paul Carminati et Bernhard Engel. 
Mais dès le Moyen-Âge, l'écriture devient plus facile à déchiffrer, l'invention de l'imprimerie permet la diffusion du livre, et avec lui, de la lecture silencieuse, activité plus intime, de bibliothèque ou de chambre. Mais la voix résiste dans les cénacles, où Chateaubriand, Hugo, Lamartine lisent leurs textes, ou encore dans les cafés et librairies, face à un public plus large. C'était aussi un moyen d'émancipation populaire dans les mouvements ouvriers, où on lit à voix haute des ouvrages pour le groupe.
Passage extrait du guide « Le Son de Lecture » par Jean-Paul CARMINATI & Bernhard ENGEL, publié aux Éditions du Faubourg
Bernhard ENGEL & Jean-Paul CARMINATI
Crédit photo © vincentmullerphotos
Livres audio et podcasts

Le XXe siècle achève la disgrâce de la voix, au profit des images. Même dans les écoles, la lecture silencieuse est privilégiée à partir des programmes scolaires de 1972 : on considère que le déchiffrage à l'oral est trop lent. Des personnalités comme Michel Polac, avec son émission de radio Lecture à une voix, ou encore, dans les années 1990, Daniel Pennac, défendent encore la pratique. Mais c'est avec le succès des livres audio et l'arrivée des podcasts que la voix se refait une place dans nos vies culturelles.

« L'auditeur reprend alors le pouvoir dans une société où les images lui sont imposées et le rendent trop souvent passif », écrivent Jean-Paul Carminati et Bernhard Engel. « Mais surtout, et c'est peut-être une raison fondamentale à l'heure du 'tout-technologique', elle replace l'auditeur dans la douce période de l'enfance, au temps où on lui lisait des histoires qui nourrissaient ses rêves, à travers le seul médium de la voix humaine. »

Un travail où l'on mouille la chemise

La posture du lecteur est exigeante : car tout le monde sait lire, oui, mais... bien lire, c'est une autre affaire. « C'est un travail où l'on mouille la chemise », soutient Jean-Paul Carminati. Avec Bernhard Engel, ils ont voulu faire une sorte de guide pour préparer et exécuter une lecture à voix haute dans les règles de l'art. Le Son de Lecture parle donc du choix du texte, du passage, ou encore du processus de déminage : le minutieux travail d'adaptation du texte pour la voix, nécessaire pour « ne pas interrompre l'auditeur dans la construction continue de ses propres représentations mentales ».

Quant à l'acte de lecture lui-même, ils en donnent quelques clés ainsi que des exercices d'entraînement. Ils évoquent, par exemple, le processus sentiment-respiration-parole, pour chasser le ton artificiel de lecture. « Ce sont trois étapes que l'ont fait déjà dans la vie, mais qu'on ne fait plus quand on lit. Il faut examiner ce qui se passe au ralenti. Vous éprouvez un énervement ? Avant de parler, vous allez respirer, puis engueuler... Or, devant une phrase, le lecture ne va pas le faire. C'est ce qui permet de donner une impression de vrai. » Un procédé similaire à celui du comédien, à la différence majeure, que le lecteur ne joue pas un rôle. « Les comédiens doivent faire un travail spécial pour sortir d'une posture narcissique et approcher de celle du musicien soliste. Le lecteur s'adresse directement au public, alors que le comédien fait semblant de ne pas le regarder », précise Bernhard Engel.

Camélia ESCHCHIHAB
Crédit photo © @vincentmullerphotos